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Les tentaculaires réseaux de Moukhtar Abliazov au Parlement européen

Judiciairement acculé par plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Ukraine ou la Russie, Moukhtar Abliazov jouit encore du statut de réfugié poli­tique en France. Il béné­fi­cie égale­ment de nom­breux sou­tiens au Parlement européen et peut compter sur le lob­by­ing intense mené par une ONG con­tro­ver­sée, l’Open Dialogue Foundation (ODF) au sein du Parlement européen, où il fait val­oir sa cause. Enquête sur les ten­tac­u­laires réseaux de Moukhtar Abliazov.

Il est con­sid­éré comme l’ « escroc du siè­cle » par le gou­verne­ment kaza­kh, qui l’accuse d’avoir détourné 6 mil­liards d’euros des caiss­es de la banque BTA, l’une des prin­ci­pales insti­tu­tions finan­cières du pays, dont il était prési­dent du con­seil d’administration entre 2005 et 2009. Condamné – ou sous le coup de plusieurs chefs d’accusation – pour crime financier au Kazakhstan, en Russie, au Royaume-Uni, en Ukraine, en France et aux États-Unis, Moukhtar Abliazov béné­fi­cie pour­tant de nom­breux sou­tiens au Parlement européen.

Moukhtar Abliazov impliqué dans de nombreuses affaires de criminalité financière

Qu’ont en com­mun Isabel Santos, Ignazio Corrao, Nieklas Nienaß ou encore Anna Fotyga ? Tous mem­bres du Parlement européen, ils ont présen­té, le 8 févri­er 2021, une propo­si­tion de réso­lu­tion con­damnant les sup­posées atteintes aux droits humains au Kazakhstan, pays d’origine de Moukhtar Abliazov. La réso­lu­tion est finale­ment adop­tée le 11 févri­er 2021 au Parlement européen et prend la forme d’une con­damna­tion sym­bol­ique du pays. Une petite vic­toire pour Moukhtar Abliazov, en guerre ouverte, depuis plus d’une dizaine d’années, avec le pou­voir en place. L’occasion pour lui de ren­forcer sa pos­ture de réfugié poli­tique mar­tyrisé par le pou­voir kaza­kh, qu’il revendique régulière­ment dans la presse européenne. Dans le jour­nal Le Monde, il a dénon­cé le 6 mai dernier la « duplic­ité de Paris avec le régime » du Kazakhstan et se con­sid­ère comme la vic­time d’un har­cèle­ment de la part d’« agents kaza­khs », qui le sur­veilleraient en per­ma­nence. S’il nie ou reste évasif sur tous les faits qui lui sont reprochés, les con­damna­tions s’accumulent dans dif­férents pays, pour­tant peu sus­pects d’avoir des intérêts stratégiques com­muns entre eux ou avec le Kazakhstan.

En Russie, il est accusé d’avoir com­mis pour 5 mil­liards de dol­lars de malver­sa­tions finan­cières. En Ukraine, où les chefs d’accusation relèvent des « prêts fic­tifs, détourne­ments de fonds, absence de nan­tisse­ment et créa­tion de sociétés off-shore », les malver­sa­tions finan­cières sup­posées ne s’élèveraient qu’« à 400 mil­lions de dol­lars » pour des faits com­mis à la fin des années 2000. En Grande-Bretagne, il a notam­ment été con­damné en novem­bre 2012 à pay­er 4,5 mil­liards de dol­lars de dom­mages et intérêts à la banque BTA. En France, s’il est mis en exa­m­en depuis le 7 octo­bre 2020, il béné­fi­cie encore du statut de réfugié poli­tique depuis le 29 sep­tem­bre 2020 et la déci­sion de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Le Parlement européen et ses liens avec l’Open Dialogue Foundation

Un lourd pas­sif judi­ci­aire qui ne l’empêche pas de compter des sou­tiens au Parlement européen, à tra­vers l’Open Dialogue Foundation (ODF), qui mène un lob­by­ing act­if en sa faveur dans les arcanes com­mu­nau­taires. Moukhtar Abliazov s’affiche par­fois même en famille avec cer­tains députés européens. Au moins 9 par­lemen­taires, sig­nataires de la réso­lu­tion ont, ces dernières années, par­ticipé à des évène­ments organ­isés par l’ODF ou ont ren­con­tré Moukhtar Abliazov.

Une réso­lu­tion votée par le Parlement européen, hos­tile au Kazakhstan, révèle l’influence des lob­bys pro-Abliazov au Parlement européen. La réso­lu­tion est la con­séquence d’une mobil­i­sa­tion de députés européens, de groupes poli­tiques opposés, allant de la droite con­ser­va­trice à la gauche rad­i­cale : des con­ser­va­teurs du Parti pop­u­laire européen, des soci­aux-démoc­rates, des écol­o­gistes des Verts / ALE ou encore un libéral du Renew Group ont signé cette réso­lu­tion. Plusieurs fais­ceaux de preuve lais­sent penser qu’elle est née de l’influence insi­dieuse de plusieurs proches de Moukhtar Abliazov, notam­ment regroupés au sein de l’Open Dialogue Foundation, une ONG con­testée, au cœur de nom­breux soupçons de finance­ment par les ser­vices de ren­seigne­ment russ­es, de liens avec des mécan­ismes de blanchi­ment d’argent et avec plusieurs per­son­nal­ités sul­fureuses. Par le biais d’évènements, sou­vent organ­isés dans les locaux du Parlement européen, l’ODF tisse sa toile et élar­git son réseau de parlementaires.

Le dimanche 21 avril 2019, un arti­cle du Times sug­gérait que 1,5 mil­lion de livres ster­ling avaient dis­paru des comptes d’entreprises enreg­istrées à Glasgow et Édimbourg pour tran­siter vers ceux du siège de l’Open Dialogue Foundation, dont le siège est basé à Varsovie. En novem­bre 2018, une enquête par­lemen­taire mol­dave soulig­nait la pos­si­bil­ité de liens étroits entre l’ODF et les ser­vices de ren­seigne­ment russ­es con­cer­nant des activ­ités de désta­bil­i­sa­tion du régime mol­dave. Une accu­sa­tion qui fait écho à un autre rap­port, pub­lié par la Chambre de com­merce polon­aise, daté de juil­let 2017, soulig­nant la four­ni­ture de matériels mil­i­taires à des rebelles séces­sion­nistes du Donbass (visées infrarouges pour snipers et gilets pare-balles).

Par ailleurs, la plu­part des per­son­nal­ités au cœur des plaidoy­ers de l’Open Dialogue Foundation ont été con­damnées pour crime financier dans leur pays. Parmi elles, Veaceslav Platon, homme d’affaires mol­da­vo-russe, le sup­posé archi­tecte d’un grand mou­ve­ment de trans­ferts de fonds hors de la Russie via du blanchi­ment d’argent, ou encore Aslan Gagiyev, fon­da­teur de The Family, un groupe mafieux impliqué pour des meurtres con­tractuels, comme celui du maire de Vladikavkaz.

Des députés signataires issus de différents groupes politiques au Parlement européen

Plusieurs des par­lemen­taires auteurs de la propo­si­tion de réso­lu­tion ont, un moment ou à un autre, assumé leurs liens avec des mem­bres hauts placés de l’Open Dialogue Foundation, Moukthar Abliazov lui-même ou des mem­bres de sa famille, voire même d’autres per­son­nal­ités kaza­khes, impliquées dans des affaires de crim­i­nal­ité finan­cière. Des liens inter­per­son­nels doc­u­men­tés le plus sou­vent par l’ODF elle-même, signe qu’elle revendique pleine­ment son influ­ence au Parlement européen.

Parmi les sig­nataires de cette motion se retrou­vent ain­si Isabel Santos, députée social­iste por­tu­gaise, mem­bre du groupe Socialiste et Démocrate au Parlement européen, pho­tographiée avec Lyudmyla Kozlovska, Présidente de l’Open Dialogue Foundation. Elle est, pour le groupe des soci­aux-démoc­rates, à l’origine de cette réso­lu­tion, avec deux autres députés, Kati Piri et Andris Ameriks.

Isabel Santos a par­ticipé à une con­férence de l’Open Dialogue Foundation, qui s’est tenue le 9 octo­bre 2014, sur le thème de « l’utilisation abu­sive d’Interpol » (pho­to ci-dessous), l’un des grands com­bats de l’ODF, car plusieurs des indi­vidus qu’elle défend sont sous le coup d’une « notice rouge », pro­duite par l’un des États-mem­bres d’Interpol.

Crédit : Open Dialogue Foundation

Des liens sim­i­laires ont été iden­ti­fiés pour plusieurs députés issus du groupe Les Verts / Alliance Libre européenne. Viola von Cramon-Tauhadel (à droite ci-dessous) a ain­si été pho­tographiée avec Lyudmyla Kozlovska, lors d’un évène­ment organ­isé le 26 novem­bre 2019 par l’Open Dialogue Foundation et le Center for Civil Liberties (CCL). Elle est assise à ses côtés dans le cadre d’un évène­ment célébrant Oleg Sentsov (à gauche sur la pho­to ci-dessous), un ancien pris­on­nier poli­tique russe, récip­i­endaire du prix Sakharov.

Crédit : Open Dialogue Foundation

L’évènement, comme revendiqué par l’Open Dialogue Foundation, comp­tait aus­si dans ses rangs Petras Auštrevičius, un député litu­anien du groupe libéral Renew Europe (à gauche sur la pho­to ci-dessous). Lui aus­si proche de Lyudmyla Kozlovska, il a été pho­tographié en sa com­pag­nie et fait par­tie des sig­nataires de la propo­si­tion de résolution.

Crédit : Open Dialogue Foundation

Proche du groupe des Verts – ALE, le député grec Niklas Nienaß a été pho­tographié avec Lyudmyla Kozlovska et Bota Jardemalie, égale­ment inquiétée par la jus­tice du Kazakhstan. Là encore, l’évènement a été organ­isé par la ODF. Bota Jardemalie (troisième en par­tant de la droite, pho­to ci-dessous) a, elle aus­si, été mem­bre du con­seil d’administration de la banque BTA, où elle a con­nu Moukhtar Abliazov entre 2005 et 2009, en offi­ciant comme man­ag­ing direc­torUn arti­cle du jour­nal belge Le Soir, daté du 12 août 2020, révèle qu’elle s’est sous­traite à un gel de ses act­ifs par la jus­tice anglaise en se ser­vant dans les comptes d’une société off­shore.

Crédit : Open Dialogue Foundation

Ignazio Carrao, député ital­ien, mem­bre du groupe des Verts a quant à lui été pho­tographié avec la femme de Moukhtar Abliazov, Alma Shalabayeva (pho­to ci-dessous en bas à gauche).

Les députés sig­nataires de la motion hos­tile au Kazakhstan affichent par­fois directe­ment leurs liens avec Moukhtar Abliazov, comme Anna Fotyga, député européenne con­ser­va­trice et euroscep­tique, mem­bre du par­ti polon­ais Droit et Justice. La fille de Moukhtar Abliazov est aus­si présente sur la pho­to, à la droite de son père. Là encore, Anna Fotyga est sig­nataire de la résolution.

Contestée, l’Open Dialog Foundation revendique ses activ­ités de lob­by­ing au sein du reg­istre de trans­parence de l’Union européenne. Sa rai­son d’être est, selon la Commission européenne, « l’organisation de mis­sions d’observation, y com­pris l’observation des élec­tions et le suivi de la sit­u­a­tion des droits de l’homme dans les pays post-sovié­tiques ». Mais elle sem­ble aus­si pra­ti­quer la dif­fu­sion de réso­lu­tions « clefs en main » à cer­tains par­lemen­taires, une méth­ode qui inter­roge sur l’influence de cer­taines ONG, par­fois con­tro­ver­sées, au sein des insti­tu­tions européennes.

La Rédaction 

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