Omar Bongo, Moukhtar Abliazov, Sergueï Pougatchev. À l’image du Royaume-Uni, la France compte sur son sol de nombreux anciens chefs d’État et autres oligarques qui, malgré leurs démêlés judiciaires ou leurs ennuis politiques, peuvent librement apprécier l’art de vivre de notre pays. La République française est-elle trop conciliante envers ses personnalités controversées ? Lumière sur quelques cas.
Les « biens mal acquis » laissent des traces
Depuis la décolonisation, la France et le continent africain ont noué des liens d’amitié et de coopération très privilégiés. À tel point que certains anciens chefs d’État africains n’ont pas hésité à investir leur fortune personnelle acquise illégalement sur le territoire français. Venus du Gabon, de la Guinée Équatoriale ou du Congo-Brazzaville, les présidents ont acheté des dizaines de propriétés avec de l’argent public. En octobre 2017, Teodorin Obiang, fils du président de Guinée équatoriale, a été la première personnalité officiellement condamnée par la justice française. Outre la confiscation de ses biens, dont un hôtel particulier avenue Foch, il doit purger 3 ans de prison et payer une amende de 30 millions d’euros. Depuis 5 ans, Teodorin Obiang fuyait la justice malgré plusieurs mises en examen.
L’année dernière, d’autres propriétés ont été saisies par la justice, notamment six villas achetées en France par Omar Bongo, l’ancien président gabonais et père d’Ali Bongo Ondimba, l’actuel chef d’État. Dans les prochains mois, d’autres condamnations devraient être prononcées dans cette affaire « des biens mal acquis » qui met en lumière la complaisance de l’État français. Mais ces décisions de justice médiatisées ne sont probablement que la surface émergée d’un iceberg bien plus important : des dizaines d’autres propriétés, de voitures de luxe et de collections d’arts de dirigeants africains n’ont pas encore été inquiétées par la justice française.
Les oligarques ont la belle vie
Mais l’Afrique n’a pas le monopole de la bienveillance française, loin de là. Ces dernières années, plusieurs oligarques issus de l’ex-Empire soviétique tombés en disgrâce ont trouvé refuge en France. L’ex-milliardaire, Sergueï Pougatchev, surnommé le « banquier du Kremlin » dans les années 90 et 2000 a fait fortune avec sa banque Mejprombank. Il est recherché par la justice russe et Interpol pour escroquerie et détournement de fonds. Problème : il a été naturalisé français en 2009 avant la faillite de sa banque. Une faillite qui ne l’a pas empêché d’acquérir plusieurs propriétés sur la Côte d’Azur et de racheter (sans grand succès) l’ancien quotidien France Soir ainsi que l’épicerie de luxe, Hédiard. Depuis mars 2017, Moscou demande à Paris de l’extrader. En vain, pour l’instant.
L’histoire est similaire avec le kazakh Moukhtar Abliazov. L’ancien banquier de la « BTA Bank » est accusé par la Russie, le Kazakhstan et l’Ukraine de gigantesques détournements de fonds. En fuite au Royaume-Uni où il a été condamné à 22 mois de prison par la justice pour outrage à magistrat, il a rejoint la France où il a pu se cacher durant plusieurs mois avec sa famille. En juillet 2013, il a été arrêté dans le Var et purge trois années de prison. En septembre 2015, le gouvernement français a signé un décret d’extradition vers la Russie, mais, un an plus tard, le Conseil d’État, sous les recommandations insistantes de son rapporteur public Béatrice Bourgeois-Machureau, a invalidé cette décision et l’a libéré de prison. Pourquoi un tel revirement de la part de la France ? Comment un homme accusé d’avoir détourné près de six milliards d’euros peut-il se faire passer pour un opposant politique kazakh ? Les zones d’ombre restent nombreuses… Aujourd’hui, ce milliardaire coule des jours heureux dans notre capitale.
Le château Normand de l’ancien Président du Pakistan
Dans la paisible commune du Mesnil Leubray, en Normandie, le « Château de la Reine Blanche » reçoit parfois la visite de son propriétaire, l’ancien président du Pakistan de 2008 à 2013, Asif Ali Zardari. Un trésor architectural du XVIe siècle, inscrit à l’inventaire des monuments historiques, acheté il y a 25 ans par le veuf de Benazir Bhutto. L’homme d’affaires a commencé sa carrière politique dans le sillage de sa femme, élue Premier ministre du Pakistan dans les années 90. Rapidement nommé par son épouse à des postes stratégiques du gouvernement, il acquiert le surnom peu reluisant de « monsieur 10 % », en référence à la marge en « dessous de table » qui s’octroierait systématiquement lors de la signature de contrats. Accusé d’avoir détourné et placé à l’étranger près d’un milliard de dollars, il sera emprisonné de 1997 à 2004 et sera même soupçonné d’avoir commandité l’assassinat de son beau-frère, un rival politique. Une réputation sulfureuse, qui ne trouble nullement ses réguliers séjours en Normandie.
Discrètement, la France recueille donc sur son territoire des personnalités controversées, voire recherchées. Des oligarques et d’anciens chefs d’État qui profitent ainsi de lieux de villégiatures prestigieux, mais aussi d’un refuge en cas d’ennuis politico-judiciaires. Une situation guère reluisante pour un pays comme la France. Toutefois, les récentes condamnations dans l’affaire des biens mal acquis pourraient sonner le glas d’un système de plus en plus mal perçu par la société civile.